Le Colorado provençal s'étend sur plus de 30 hectares. Ses sentiers en terre permettent de découvrir des falaises érodées comprenant plus de 20 teintes d'ocre. Le « cirque de Barriès », le« cirque de Bouvène », les bassins de décantation, les cheminées de fée, le «Sahara », les tunnels, le lit de la Dôa (la petite rivière locale) offrent des décors variés aux randonneurs. Le chemin de grande randonnée GR 6 traverse le site.
Industrie de l'ocre en pays d'Apt:
L'industrie de l'ocre en pays d'Apt a été favorisée par des énormes dépôts de sables ocreux qui couvrent un secteur comprenant Gignac, Rustrel, Villars, Gargas et Roussillon. L'ocre est une roche ferrique composée d'argile pure (kaolinite) colorée par un hydroxyde de fer : l'hématite pour l'ocre rouge, la limonite pour la brune et goethite pour la jaune. Du pouvoir colorant de l'ocre connu dès la protohistoire, il y eut ensuite passage à l'exploitation du fer pour arriver à la fin du XVIIIe siècle à l'extraction industrielle des colorants ocreux.
Colorant de la préhistoire:
Comme l'ont prouvé les explorations des grottes ornées de Lascaux, de Chauvet à Vallon-Pont-D’arc ou de Cosquer, à Cassis, nos ancêtres utilisaient les ocres pour créer des œuvres d'art. Des morceaux de ce colorant ont été retrouvés dans d'autres grottes préhistoriques, où des mains mutilées en négatif semblent démontrer qu'ils s'en servaient aussi comme peinture de guerre ou pour cicatriser leurs blessures. Les rites funéraires faisaient aussi appel à l'ocre qui était déposé sur le corps du défunt.
Exploitation du fer de La Tène jusqu'au XIXe siècle:
Si les premiers habitants de nos régions utilisèrent les gisements d'ocre, pour l'art corporel ou pariétal, ils s'en servirent aussi, dès l'âge du fer pour forger outillage et armes. En effet ces dépôts ocreux contiennent de grandes quantités de minerai ferrugineux qui fut fondu dans les premiers « bas fourneaux » de l'Antiquité jusqu'au Moyen Âge. Ces gisements furent exploités à ciel ouvert ou en galeries. Dans certaines de celles-ci, au nord de la vallée du Calavon, ont été retrouvées intactes des amphores romaines.
Dans le pays d'Apt s'étend un vaste bassin minier et métallurgique dont la production de fer perdura jusqu’au XIXe siècle. Il est divisé en trois secteurs qui se jouxtent:
Le district de Rustrel, compris entre Gignac et Villars, qui s'étale sur 20 km².
Le district de Gignac-Simiane-la-Rotonde-Banonoù les sites sidérurgiques sont les plus nombreux.
Le district de Gordes-Lagnes-Fontaine-de-Vaucluseoù les grottes des parois calcaires ont, pour la plupart, été exploitées et vidées de leurs remplissages ferrugineux.
Haut fourneau de Rustrel d'une capacité de six tonnes.
Des datations au C14 ont permis d'identifier certains ferriers comme appartenant la période de La Tène. Des campagnes de prospections, réalisées entre 1996 et 2008, ont répertorié plus de 300 ferriers. Exploité jusqu'à la fin du XIXe siècle, en particulier à Gignac et à Rustrel, ce minerai de fer contribua à l'essor économique et industriel de la vallée du Calavon.
Une des dernières forges ayant servi à usiner le minerai de fer de Rustrel se trouve au Musée de l'aventure industrielle à Apt.
À Gignac, la teneur du minerai recueilli dans les ocres atteint entre 45 et 55%. L'étude des scories, au quartier de la Ferrière, a montré qu'elles datent de la plus haute Antiquité. Au nord-est du village, à Thosse, les plus anciens bas fourneaux identifiés ont servi au cours du IIIe siècle. Dans ce hameau, l'exploitation du minerai de fer s'est poursuivie jusqu'en 1815.
Dans les années 1850, le besoin de bois pour la production de fer s’intensifia, il fut tel qu'il provoqua la déforestation des Monts de Vaucluse et du Mont Ventoux. À Rustrel, existent toujours les vestiges de ces hauts fourneauxqui furent construits, à partir de 1836 pour se substituer à celui de Velleron. Ils permirent, jusqu'en 1890, de produire des fontes à gueuseset à moulages. Cette exploitation périclita par manque de moyens de transport adéquat.
Industrie ocrière du colorant:
Bien connu depuis la haute antiquité, le pouvoir colorant de l’ocre ne fut véritablement exploité en tant que tel qu’à la fin du XVIIIe siècle après la découverte de la stabilité et l’inaltérabilité de l’ocre dans les peintures.
Cette exploitation de l'ocre en pays d'Apt doit tout à Jean-Étienne Astier, originaire de Roussillon, qui, entre 1780 et 1785, étudia les propriétés des sables jaunes et rouges qui dominaient sur les terres de son village. En 1790, il reçut l'aval du nouveau conseil municipal pour utiliser le moulin à huile communal. Cette période révolutionnaire, n'empêcha pas ses affaires de fructifier. En 1810, il fait fonctionner deux usines à proximité du village et une fabrique dans Roussillon même.
Astier avait pensé à tout sauf aux poussières de l'ocre qui empoisonna la vie des Roussillonnais. Les rigoles et les rivières étaient comblées par les sables de lavage perturbant leur écoulement, le concassage de l'ocre et son transport empoussiéraient l'atmosphère, le paysage devenait jaune.
Ce qui provoqua la colère des habitants qui pétitionnèrent : «le Sieur Astier, fabricant d'ocre à Roussillon, encombre la voie publique avec le sable qu'il dépose à la rue près de l'Hospice, pollue l'atmosphère, jette le marc de sable près de la maison de M. Teissier, ce qui provoque au moindre souffle de vent une poussière qui envahit tout le quartier, à l'intérieur des maisons, des citernes, et porte préjudice aux habitants ».
Mais son exemple fut suivit. Au cours du XIXe siècle, dans le pays d’Apt plus de cent carrières furent ouvertes et dont l'ocre était traitée dans vingt-cinq usines. Si l'ocre apporta la prospérité en pays d'Apt pendant un siècle, il a été source de misères et de tragédies. Les ouvriers ocriers étaient des mineurs de fond sans aucun moyen moderne d'extraction. Dans les galeries, ils maniaient le pic, la pioche et la pelle, et sortaient le minerai dans des brouettes.
L'exploitation de l'ocre en galerie se généralisa rapidement. Leur front de taille pouvait atteindre une hauteur de 20 mètres. En moyenne, ces galeries s'enfonçaient dans les couches de minerai sur une largeur et une hauteur de 5 mètres. Creusées parallèlement et perpendiculairement, elles se croisaient délimitant ainsi des piliers massifs soutenant la voûte. Le développement de ces réseaux souterrains atteignit des dimensions impressionnantes. Celui existant sous la commune de Gargas se développe sur 40 kilomètres.
L'ocre permit à ces paysans-mineurs d'avoir un salaire mensuel, mais dans des conditions de travail désastreuses. Effondrements de galeries mal ou non étayées, dynamitages mal contrôlés, air vicié et silicoses provoquèrent les accidents du travail multiples et furent cause de nombreux morts. C'était, disait-on dans les années 1900, les risques du métier.
Toute cette activité était organisée, depuis Apt, par les appels stridents d'une sirène qui annonçait midi et soir l'arrêt du travail. « On voyait alors sortir des bouches de la mine ou des portes de l'usine des fantômes jaunes tapant des pieds et se secouant dans le vain espoir d'éliminer un peu de ce poussier qui les engluait. Crachant et toussant, ils enfourchaient leurs vélos jaunes et disparaissaient pour quelques heures dans un paysage aussi ocre qu'eux ».
Il fallut quasiment un siècle pour que l’extraction et le raffinage des ocres parviennent à un stade industriel permettant d'estomper la crise sidérurgique locale. Ce fut l'âge d'or des pigments ocreux, avec la conquête des marchés américain et russe. En 1890, 20 000 tonnes d'ocre furent commercialisées et le double en 1930.
Les ocres traités étaient commercialisés en tonneauxà partir de la gare d'Apt. Ceux-ci étaient confectionnés en douvesde pin cerclées de châtaigniers. Destination et qualité de l'ocre était marquées au pochoir ou au fer rouge. Compte tenu de leur fragilité, ces futs fabriqués sur place, n'étaient pas consignés.
Les usines se concentrèrent au plus près de la gare dans le faubourg ouest de la ville. Ce fut les cas de la Société des ocres de France, des usines Lamy et des Baumes, de l'usine Benoît, près du viaduc. Un secteur géographique qui dût être partagé avec les confituriers.
Le lavage de l'ocre se faisait à grandes eaux par pompage dans le Calavon et la Dôa. Un courant d'eau entraînait le minerai ocreux dans des batardeaux. Le sablese déposait par gravitation et l'ocre mêlé à l'eau était entrainé vers des bassins de décantation.
Ceux-ci, d'une contenance de 200 m³ permettaient de renouveler plusieurs fois l'opération avant d'être pleins. Cette technique perdura jusque dans les années 1960 avec un rendement de 200 kg au m³ de minerai. Elle impliquait d'attendre jusqu'au mois de mai pour que le dépôt ait pris une consistance ferme. Les mottes d'ocre étaient retirées et entassées autour des bassins afin de sécher au grand air.
Cette pratique entraînait une transformation du paysage. Jacques Sintès, dans son ouvrage Les ocres a pu constater : « Mais cette érosion naturelle n’aurait jamais été aussi intense sans l’intervention de l’homme qui, en creusant galeries et carrières pour l’extraction du minerai, a largement contribué à la formation de ces paysages... Après l'orage, les eaux claires de la Dôa sont chargées de pigments arrachés à la colline ; le ruisseau se teintait des couleurs du temps passé, lorsque les hommes s'en servaient pour laver le sable ocreux ». Un autre auteur note : «Des années plus tard, les usines fermées étaient encore jaune et les orages n'avaient pas encore fini de lessiver complètement l'ocre incrusté dans le goudron de la route ».
Car la crise de 1929 et la seconde guerre mondiale mirent un terme à cette période faste. Puis l'activité ocrière périclita vers le milieu du XXe siècle, quand les grands trusts de la chimie mirent sur le marché des colorants artificiels. Pourtant la production de l'ocre continua petitement puisque 1 000 tonnes continuèrent à être mise en marché chaque année. Une reprise de cette activité a été possible, dès les années 1990, grâce à une nouvelle clientèle très intéressée par ce produit naturel. Elle a permis au pays d'Apt de remettre à l'honneur son patrimoine ocrier.
L'industrie ocrière au XXIe siècle:
Il reste une seule fabrique exploitant encore les ocres en pays d'Apt. C'est l'usine de la Société des ocres de France, dite encore usine Guigou, datant de 1901. L'extraction du minerai se fait par engins mécaniques et par décapage progressif des couches. Le lavage de l'ocre s'est lui aussi mécanisé par arrosage automatique. Débarrassé du sable, il est alors conduit par des canalisations vers les bassins de décantation et de séchage. Ces opérations finies, le concentré d’ocre est convoyé vers l'usine pour être chauffé à 500°C. La cuisson terminée, les ocres sont broyés, ensachés et expédiés. L'exportation se fait majoritairement vers les pays scandinaves, l'Afrique et le Liban. Le marché intérieur voit arriver en tête la Provence, devenue la meilleure ambassadrice de son ocre.
Ocre jaune:
L'Ocre jaune est une argile pure (kaolinite) colorée par un pigment d'origine minérale (un hydroxyde de fer appelé goethite).
Cette argile colorée est amalgamée aux grains de sable (quartz) qui composent la masse rocheuse à plus de 80%. Avant d'être commercialisés ces sables devront subir toute une série de manipulations visant essentiellement à extraire le maximum de quartz, élément parasite qui ne rentre pas dans la composition de l'ocre. Ce n'est qu'en 1883 qu'une production de type industriel se mettra en place, avec la constitution de plusieurs sociétés d'extraction et de commercialisation. Le développement va être très important jusqu'à la crise économique des années 1930.
Aujourd'hui, la Société des Ocres de France, seule entreprise ocrière encore en activité en Europe, exploite les gisements d'ocre de Gargas et fabrique des couleurs dans son usine du Pays d'Apt.
Ocre rouge:
L'ocre rouge est une argile ocreuse rouge.
C'est une terre argileuse et siliceuse, colorée par des oxydes de fer rouge.
Employée comme pigment, on la trouve sous des noms divers : rouge de Prusse, rouge d'Anvers ou rouge de Hollande.
Les gisements d'ocres sont nombreux mais les ocres rouges naturelles sont plus rares. La France, l'Allemagne et l'Italie en produisent. La Ste des Ocres de France est le dernier producteur en France d'Ocres.
Vitruve mentionne l'usta qui est de l'ocre jaune brûlée donc de couleur rouge et Pline utilise ce terme pour le minium et l'ocre rouge. Les auteurs classiques mentionnent souvent une terre rouge appelée la synopsis provenant de la ville de Sinope.
Composition:
Les ocres rouges sont des oxydes de fer naturels (PR102) ou synthétiques (PR101).
Les ocres rouges naturelles peuvent être extraites à l'état naturel ou produites artificiellement par calcination de l'ocre jaune (oxyde de fer jaune). L'ocre rouge synthétique est un oxyde de fer rouge.
L'oxyde ferrique hydraté se déshydrate au-dessus de 250 °C. Le degré de température influence la composition de l'ocre rouge. Les ocres dont la température de calcination n'a pas dépassé 250 °C réabsorbent l'eau une fois exposées à l'air humide.
Pour l'ocre rouge, l'hématite de formule Fe2O3. Les ocres peuvent contenir des impuretés, la nature et la proportion de ces dernières dépendent de la provenance des terres.
Selon Pline, l'ocre rouge est fabriquée en calcinant de l'ocre jaune dans des pots neufs, lutés d'argile sur leur pourtour. Il spécifie que plus elle a brûlé sur le foyer meilleure elle est. Vitruve mentionne que l'ocre rouge était calcinée jusqu'à incandescence puis éteinte brutalement dans du vinaigre.